Saga Tether et Bitfinex : la sombre histoire de l’USDT

L’USDT est l’une des cryptomonnaies les plus controversées, au cœur de nombreux
scandales
, elle enregistre quotidiennement un volume de plusieurs dizaines de milliards de
dollars.

L’entreprise derrière le premier stablecoin du marché, vous la connaissez, ou du moins,
vous avez déjà entendu son nom. Il s’agit évidemment de Tether et dans cette vidéo, je vais
vous raconter l’histoire palpitante qui entoure cet acteur de l’écosystème.

Ce qui a commencé comme une petite startup deviendra en quelques années seulement un
véritable empire capable de faire des vagues jusque dans la finance traditionnelle. Aujourd’hui, on va se pencher sur l’un des piliers de l’écosystème crypto, un mastodonte du secteur dont l’ombre plane en permanence au-dessus de nos têtes. C’est parti !

De RealCoin à Tether : de l’altcoin au stablecoin

En octobre dernier, Paolo Ardoino, directeur technique chez Tether et Bitfinex, annonçait la
nouvelle. Dorénavant, il assurera la fonction de directeur général au sein de Tether..
Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais il s’agit véritablement de la voix de Tether,
notamment sur Twitter.

Et d’ailleurs, celui-ci s’est très récemment exprimé auprès de Bloomberg sur leurs futurs
engagements
concernant la transparence des réserves du stablecoin. Vous ne le savez peut-être pas, mais Tether et la transparence, ça n’a pas toujours été une histoire d’amour, du coup cette annonce n’est pas passée inaperçue.

Tout commence en 2012 sur une idée de J.R Willett, un développeur américain reconnu
dans l’écosystème. Pour la petite histoire, c’est le créateur des ICO, et à ce moment-là, il
imagine quelque chose qui va révolutionner l’industrie : construire de nouvelles cryptomonnaies au-dessus de Bitcoin.

Cette idée, il va la concrétiser en créant MasterCoin, qui deviendra Omni Layer. En gros,
c’est une seconde couche de Bitcoin qui permet entre autres de créer et d’échanger des
tokens personnalisés, ainsi que de construire des contrats intelligents.

Et justement, c’est en utilisant cette nouvelle technologie qu’en 2014, Brock Pierce, Reeve
Collins, et Craig Sellars, trois entrepreneurs américains, vont concevoir un outil qui va tout
changer, le stablecoin.

Ensemble, ils fondent la startup RealCoin et, le 6 octobre 2014, la magie opère. Les
premiers jetons RealCoin sont émis sur la blockchain Bitcoin grâce au protocole Omni Layer.
Un mois plus tard, l’entreprise se renomme finalement Tether, pour s’éloigner un peu de l’image des altcoins et affirmer son identité.

Logo de Thether

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Qu’est-ce qu’un stablecoin ?

À ce moment-là, il y a trois stablecoin disponibles sur le Yen, l’Euro, et évidemment le Dollar.
L’entreprise Tether Limited est basée à Hong-Kong et est censée détenir un dollar américain
dans ses réserves pour chaque USDT émis.

Avant de continuer, penchons-nous un petit peu sur les stablecoins. Déjà, il faut bien se dire
une chose, c’est qu’à ce moment-là, l’écosystème a cruellement besoin de ce genre d’outils.
Ça paraît trivial aujourd’hui si vous êtes dans les cryptos depuis peu, mais dites-vous
qu’avant, lorsque vous mettiez de l’argent sur Bitcoin, il n’existait aucun outil pour se couvrir
de sa volatilité.

L’idée ici, c’est d’avoir une cryptomonnaie indexée à une monnaie fiduciaire. Pour l’USDT, il
s’agit donc d’un token qui suit la valeur du dollar américain. Basiquement, vous pouvez
échanger vos cryptos contre de l’USDT lorsque vous souhaitez vous retirer du marché, et ça
sans avoir à cash out.

En clair, vous restez en crypto, mais vous avez un token équivalent au dollar. Car oui, c’est ça l’utilité fondamentale des stablecoins, se mettre à l’abri de la tempête. Bon, vous vous en doutez, tout n’est pas rose et rien n’est sans risque.

Les utilisateurs de l’UST, le stablecoin décentralisé de Terraform Labs, en ont, par exemple,
fait les frais, même si ce n’était pas tout à fait le même genre de risques que sur l’USDT.
Mais passons.

Le stablecoin est un outil indispensable dans notre écosystème, et lorsque l’USDT est
arrivé, il répondait à un réel besoin, il y avait vraiment une demande conséquente pour ce
type de produit.

Bref, le temps passe et Tether entame sa conquête du monde des cryptos et encore
aujourd’hui, leur USDT s’impose comme le plus gros stablecoin du genre. Rendez-vous
compte, le bazar pèse 85 milliards de dollars à l’heure actuelle, c’est colossal.

Mais vous vous en doutez, un tel mastodonte ne peut pas être exempt de tout reproche, et
autant, vous dire que ces dernières années, quand Tether vacillait, c’est tout l’écosystème
qui tremblait.

Maintenant, il est temps de vous parler de Bitfinex. C’est un gros exchange Hong-Kongais crée en 2013.

Logo de Bitfinex

Bitfinex, la plateforme aux milliers de bitcoins envolés

Le 22 mai 2015, Bitfinex est hacké. Au total, 1500 bitcoins manquent à l’appel. Bon, vous me direz, ça arrive surtout à cette époque. Environ un an plus tard, la plateforme subit de nouveau un hack de 119 000 Bitcoins cette fois.

Là, ça commence à faire beaucoup, surtout qu’on ne parle plus du tout des mêmes montants. Et ça, ça met un gros coup de projecteur sur l’exchange et ses pratiques. Ah, et accessoirement ça a fait chuter le cours du Bitcoin de plus de 20 % en une seule journée. Depuis, les voleurs ont été retrouvé et ont plaidé coupable pour le vol des fonds de la plateforme, et l’histoire derrière tout ça est vraiment croustillante.

Encore aujourd’hui, c’est l’un des plus gros hack qui a eu lieu dans notre écosystème. Mais revenons à Bitfinex. Ils ont géré le hack à leur manière et, sans rentrer dans le détail, il y a eu le gel d’une partie des fonds des utilisateurs et une distribution d’un token en compensation, le BFX.

C’était un token de dette, en clair une promesse de l’entreprise de rembourser les pertes sur le long terme en rachetant le token en question avec une partie de leurs bénéfices. Il était d’ailleurs possible de trader le token sur la plateforme.

Les jetons d’une valeur nominale de 1 dollar s’échangeaient entre 0,49 $ et 0,65 $ pendant la majeure partie de l’année 2016. La décote reflétant le risque perçu par le marché que la plateforme ne serait jamais en mesure de récupérer la perte. Le prix est même monté jusqu’à 0,89 $ en mars 2017.

Qu’on s’entende bien, c’est mieux que rien, mais bon, quand vous vous connectez et qu’une
partie de vos précieux bitcoins ont été remplacés par un token obscur, c’est plutôt moyen.

Bon, ils finiront tout de même par couvrir les pertes et, au final, les utilisateurs lésés qui
avaient gardé leurs tokens BFX seront bien remboursés moins d’un an après le piratage. En parallèle, quelques semaines plus tôt, la CFTC, l’organe chargé de la régulation des matières premières aux Etats-Unis, leur avait infligé une amende de 75.000 $ pour non-respect de la législation.

À ce moment-là, c’est un peu la débâcle chez Bitfinex, les banques qui acceptent de
travailler pour la plateforme d’échange deviennent de plus en plus rares et ça devient
compliqué à cacher. En plus, à la même période, Bitfinex est au cœur de l’écosystème, c’est la plateforme qui enregistre le plus gros volume d’échange quotidien, donc tout ça n’est vraiment pas anodin.

Dans le même temps, on voit que Tether imprime des USDT en masse, et le doute
commence doucement à infuser. Des rumeurs commencent à circuler, Tether n’aurait pas
assez de dollars en collatéral dans ses réserves.

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Bitfinex et Tether : les liaisons dangereuses

Et oui, souvenez-vous, l’USDT est censé être un stablecoin centralisé, c’est-à-dire que pour
un USDT en circulation, ils doivent impérativement avoir un dollar en réserve. Et là, la CFTC revient à la charge et commence à taper du poing sur la table, arguant que Tether n’a jamais organisé d’audit professionnel dans les règles de l’art.

En gros, les réserves de Tether sont totalement opaques et il y a de sérieux doutes sur le fait
qu’ils disposent du collatéral suffisant. Tether a bien effectué un audit comptable, mais, juste avant ça, ils ont reçu plus de 380 millions de dollars de la part de Bitfinex. Comme c’est bizarre. D’ailleurs, ça leur aura valu une amende plutôt salée de plus de 40 millions de dollars.

Bon, on l’a dit tout à l’heure, Bitfinex a beaucoup de mal à trouver des banques qui acceptent de travailler avec eux. En 2019, ils conviennent d’un accord avec Crypto Capital, une banque crypto-friendly qui accepte de leur fournir ses services.

Bitfinex va leur transférer près d’un milliard de dollars. Il faut bien comprendre qu’à cette
époque Crypto Capital est l’une des banques les plus importantes de l’écosystème crypto.
L’histoire est longue et mériterait une vidéo dédiée, mais ce que vous devez retenir c’est que
ça a mal tourné et qu’ils ont fini par partir avec la caisse.

C’est une perte sèche de 850 millions de dollars pour Bitfinex, et on va le voir, Tether va
jouer un sacré rôle dans cette affaire. Mais, pas que Tether d’ailleurs, puisque Bitfinex va organiser une ICO pour son token d’exchange au même moment, le LEO Token. Les fonds levés seront utilisés pour couvrir les pertes et combler le trou béant laissé par Crypto Capital.

Vous l’aurez compris, il y a de réelles inquiétudes sur l’état des réserves de Tether, et petit à
petit, les gens vont essayer de comprendre de quoi il en retourne. D’abord on ne peut pas passer à côté de Bitfinex’ed qui est un crypto-enquêteur qui a fait un énorme travail de recherche en tentant de montrer et de prouver les liens qui existent entre Bitfinex et Tether.

Il évoque à la fois des fraudes, des manipulations de marché, et même le déclenchement de
certains gros mouvements sur le prix du bitcoin à cause des magouilles des deux entités. Si
vous ne le connaissez pas et que ça vous intéresse, je vous encourage vivement à aller voir
son travail.

Et puis ce n’est pas le seul à avoir ce genre de soupçons. En 2019, une plainte est déposée
à l’encontre de Bitfinex, Tether et compagnie les accusant des mêmes griefs.
Et puis des articles sont publiés, des études aussi, qui montrent une étrange corrélation
entre la hausse du prix du Bitcoin et l’impression d’USDT.

L’affaire des Paradise Papers

Bon, à ce stade, vous aurez peut-être compris qu’il existe des liens étroits et obscurs entre
Bitfinex et Tether, mais une affaire en particulier viendra éclairer tout ça, les Paradise
Papers
.

Vous savez, les millions de documents rendus publics en 2017 par le consortium international des journalistes d’investigation. Ces papiers divulguent des informations sur les avoirs offshore de personnalités politiques, célébrités et entreprises, et révèlent des pratiques d’optimisation et d’évasion fiscale à grande échelle.

Dans cette myriade de scandales financiers, on apprend qu’une partie de la tête de Bitfinex
est la même que celle de… Tether. En tout cas, deux cadres dirigeants de Bitfinex, Giancarlo Devasini et Philip Potter, sont bel et bien liés de très près à Tether.

D’après les documents, ils seraient à l’origine de l’implémentation de Tether Holdings Limited aux Îles Vierges Britanniques en 2014. D’ailleurs, c’est Appleby eux-mêmes qui auraient aidé à faciliter les opérations. Pour rappel, c’est le cabinet d’avocat d’où les Paradise Papers ont fuité. Et ça ne s’arrête pas là.

On finit également par apprendre que le CEO de Tether, Jean-Louis Van Der Velde, est aussi… le CEO de Bitfinex. Là, le doute n’est plus vraiment permis, il existe bel et bien une relation qui lie Bitfinex et
Tether d’une manière ou d’une autre. Tous les soupçons se confirment, jetant un réel froid sur l’ensemble de l’écosystème.

Si on récapitule, voilà ce qu’on reproche à Tether à ce moment-là. Fraude, blanchiment d’argent, manipulation du prix du Bitcoin et réserves insuffisantes… Vous vous souvenez des 850M$ volés par Crypto Capital à Bitfinex ? Et bien la justice New-Yorkaise les accuse d’avoir avant leur ICO couvert les pertes avec les réserves de l’USDT.

Tether va se voir infliger une autre amende de 18,5 millions de dollars et l’obligation de fournir un état trimestriel de ses réserves. Devinez quoi, cet audit des réserves de Tether finit par arriver en 2021. On l’attendait depuis… 2014, rien que ça.

Tether ne détient que 3 % de cash

La nouvelle tombe, Tether ne détient que 3% de cash. Et oui, sur les 40 milliards de dollars
qui sont censés composer les réserves de Tether, seulement 160 millions sont du dollars au
sens où vous et moi l’entendons c’est-à-dire de l’argent sur un compte en banque. .
Après tout ça, pourquoi Tether est encore debout ? Et bien parce qu’en vrai, c’est plutôt
normal pour une entreprise de ce genre. Je m’explique.

En réalité, Tether possède 75 % de cash et équivalents, et c’est ce « équivalents » qui est
important. Là-dedans, on retrouve des bons du trésor américain, et d’autres papiers
financiers qui sont considérés comme du cash, car plutôt faciles à liquider. C’est-à-dire qu’ils
peuvent y avoir accès facilement, donc c’est assimilé à du cash.

Le reste de la trésorerie est constitué de métaux précieux, d’emprunts, et même de crypto.
Par exemple, on sait que le premier octobre, ils avaient environ 60.000 bitcoins dans leur
réserve, soit un peu plus de 2 milliards de dollars en BTC à l’heure où j’écris ces lignes.
Comme je le disais, ce sont des pratiques courantes pour ce genre de structures, ne pensez
surtout pas que votre banque possède des millions de vrais euros pour garantir les fonds de
leurs clients.

Après théoriquement, votre banque est garantie par l’état via la garantie des dépôts, ce n’est
pas le cas de Tether et si l’un ou l’autre vient à tomber, pas sûr que Tether soit sauvé, lui.
Mais là encore les choses changent, les stablecoins, et particulièrement Tether, créent une
véritable demande pour les obligations d’état américaines.

Ils sont les 16ᵉ plus gros détenteurs de ce type de produits, et laissez-moi vous dire qu’il
n’est pas souhaitable pour le gouvernement américain de voir s’effondrer l’un des plus gros
acheteurs de ses obligations.

C’est peut-être une forme d’assurance de la part de Tether qui petit à petit va devenir Too
big to fail, comme les grosses banques américaines. Et puis bon, avec la récente hausse des taux, autant vous dire que cette stratégie a été plutôt lucrative.

Récemment, ils ont déclaré un profit trimestriel de 850 millions de dollars qui catapulte leur
réserve excédentaire à plus de 3.3 milliards de dollars. Aujourd’hui, Tether semble se porter comme un charme et il faut l’admettre, malgré tout le tumulte qui les entourent, ils sont encore debout.
Des efforts ont l’air d’être fait de leur côté au niveau de la transparence pour pouvoir
regagner la confiance massive du public, notamment avec la nomination de Paolo Ardoino
aux commandes de l’entreprise.

Et, ils ont plutôt intérêt, avec l’arrivée de l’USDC et d’autres stablecoin du genre, la
la compétition est plutôt rude, même si Tether conserve encore aujourd’hui très largement son
leadership. En tout cas, malgré tous ces soucis, on dirait bien que les investisseurs ont plus ou moins décidé d’éluder tout ça. Le stablecoin reste aujourd’hui un outil fondamental de l’écosystème qui permet de se préserver de la volatilité, mais aussi, il faut le dire, de s’affranchir des contraintes et des délais liés aux banques.

C’est une nouvelle façon d’utiliser le dollar américain. D’ailleurs dans les pays non
bancarisés, l’USDT est souvent bien plus utilisé que le bitcoin. Je dois dire que je suis assez
admiratif de Tether, ils ont toujours réussi à se sortir des problèmes et ils restent très rock
dans leur approche de l’écosystème. J’attends tout de même beaucoup plus de
transparence de leur part et l’on espère tous qu’ils n’auront pas de gros soucis avec les
régulateurs.

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